La Naissance de Gargantua

Extrait de
"La vie treshorrificque du Grand Gargantua pere de Pantagruel"
jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quinte essence

(Alcofribas Nasier anagramme de François Rabelais)

D'après l'édition de 1542 publiée à Lyon chez François Juste.

Chapitre 3

Comment Gargantua fut onze moys porté ou ventre de sa mere.

Grandgousier estoit bon raillard en son temps, aymant à boyre net autant que homme qui pour lors fust au monde et mangeoit volontiers salé. A ceste fin avoit ordinairement bonne munition de jambons de Magence et de Baionne, force langues de beuf fumées, abondance de andouilles en la saison et beuf sallé à la moustarde. Renfort de boutargues, provision de saulcisses, non de Bouloigne (car il craignoit ly boucon de Lombard) mais de Bigorre, de Lonquaulnoy, de la Brene et de Rouargue. En son eage virile espousa Gargamelle, fille du roy des Parpaillos, belle gouge et de bonne troigne. Et faisoient eux deux souvent ensemble la beste à deux doz, joyeusement se frotans leur lard, tant qu'elle engroissa d'un beau filz et le porta jusques à l'unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter, mesmement quand c'est quelque chef d'oeuvre et personnage qui doibve en son temps faire grandes prouesses. ...

Chapitre 7

Comment le nom fut imposé à Gargantua et comment il humoit le piot.

Le bon homme Grandgousier beuvant et se rigollant avecques les aultres entendit le cry horrible que son filz avoit faict entrant en lumière de ce monde, quand il brasmoit demandant: "A boyre, à boyre, à boyre!", dont il dist: "Que grand tu as!" (supple le gousier). Ce que ouyans, les assistants dire que vrayement il debvoit avoir par ce le nom Gargantua, puisque telle avoit esté la premiere parolle de son pere à sa naissance, à l'imitation et exemple des anciens Hebreux. A quoy fut condescendu par icelluy et pleut tresbien à sa mere. Et pour l'appaiser, luy donnerent à boyre à tyre larigot et feut porté sur les fonts et là baptisé, comme est la coustume des bons christiens. ...


Quelques années auparavant François 1er faisait du français la langue écrite officielle du Royaume de France

  • Retour à la page d'accueil