Nous avons pensé qu'à une époque où l'on fait dans l'éducation féminine une place si large aux occupations frivoles et aux passetemps futiles, il serait salutaire de tenter une réaction, même dans une sphère restreinte. Combien, parmi les femmes de toutes les classes de la société, ont le dégoût du travail, par cela seul qu'elles en ont l'ignorance! Combien se laissent entrainer sur la pente de l'oisiveté, qui conduit à tous les abîmes, par cela seul qu'un enseignement simple et pratique leur a fait défaut! On aime toujours à faire ce que l'on fait bien; donc, pour connaitre les bienfaits du trvail, il faut apprendre à bien travailler.
Nous ne voulons pas d'ailleurs démontrer
que l'humble couture doive régner despotiquement, et absorber toutes
les heures de l'existence d'une femme; mais ne pourrait-on, ne devrait-on
pas lui faire une petite place entre les lecons de chant, de piano, d'anglais,
de danse, de natation et de gymnastique? Ne serait-il pas à propos
de ne pas détrôner le principal au profit de l'accessoire?
A quoi servira une éducation uniquement dirigée au point
de vue des succès mondains, quand la jeune fille sera devenue une
mère de famille ? Un grand air, si bien chanté qu'il soit,
ne saurait lui tenir lieu de l'habileté, de l'expérience
nécessaires pour préparer les vêtements de ses enfants.
Le patinage, la natation, la gymnastique, ne pourront non plus remplacer
des talents plus casaniers, et l'on ne voit pas trop à quoi peut
servir dans sa maison une femme qui possède seulement l'art de chanter,
celui de danser, même en y joignant la connaissance des langues étrangères,
- si l'on n'a eu soin de lui enseigner l'art de la couture.
Une femme doit apprendre, avant toutes choses,
à préparer ses vêtements et ceux de ses enfants.
Cette règle, cette priorité,
ne devraient ètre méconnues dans aucune éducation
féminine, quel que soit le chiffre de la fortune que l'on possède
ou que l'on espère ; car d'une part la fortune est capricieuse dans
les temps modernes, comme dans l'antiquité, et d'un autre côté
le travail, qui constitue pour un grand nombre de femmes une ressource
précieuse ou indispensable, représente, pour celles qui sont
riches, le refuge contre l'ennui, le dérivatif de tous les maux
qui en sont la conséquence.
Seulement, ainsi que je le disais tout à
l'heure, pour aimer à coudre, il faut savoir bien coudre;
c'est ce que nous allons entreprendre d'enseigner à l'aide d'explications
et de dessins, qui permettront aux jeunes filles d'étudier par elles-mèmes
cet art indispensable, essentiellement féminin, tandis que
les mères pourront utiliser notre enseignement, soit pour elles-mêmes,
soit pour diriger leurs enfants.
Les premières conditions à observer
sont une extrême propreté dans le travail, et une netteté
non moins extrême. L'habitude de la patience est également
indispensable... et servira d'ailleurs encore en d'autres circonstances
plus importantes. Un travail irrégulier, composé de points
tantôt longs, tantôt courts, rapprochés ici, et là
écartés, n'est pas plus vite fait, au contraire, qu'un travail
irréprochable au point de vue de la régularité. C'est
la démonstration de l'éternelle vérité représentée
par la fable du lièvre et de la tortue : celle-ci, en avancant à
pas lents mais réguliers, gagne le prix que perd celui-là
pour s'être distrait en route.